Bougne est morte dans mes bras cet après-midi. Des sept années passées ensemble, c’est bien la première fois qu’elle m’aura rendu triste.
Le correcteur automatique me propose de corriger “Bougne” en “bougie”, et c’est finalement comme cela qu’elle s’est assoupie dans mes bras : en s’éteignant comme une bougie. Cela faisait plusieurs mois qu’elle déclinait lentement, mais doucement, sans heurts, et je la laissais vivre ses dernières années paisiblement. Et tout s’est accéléré en quelques heures, m’amenant rapidement à prendre une décision aussi horrible que nécessaire.
Bougne était arrivée dans ma vie en ayant déjà bourlingué un peu, je l’ai adoptée alors qu’elle avait cinq ans. Mais elle avait su quasi immédiatement se faire une place dans notre petite famille, entre adultes, enfants, chats, et dans ce chalet qui a été pendant quelques années un lieu presque paisible, dans une nature que j’avais appris à aimer, beaucoup. Et ce lieu, elle l’avait beaucoup aimé elle même, à partir dans de grandes balades, parfois accompagnée, parfois toute seule. Et puis, ces dernières années ont été à l’image de la première période de sa vie, plus citadine, moins libre forcément. Mais ça lui allait finalement plutôt bien, adoptant un rythme plus lent qui convenait à son grand âge.
Il est un peu vain de tenter d’expliquer la relation qu’on peut avoir avec un chien à quelqu’un qui n’a pas eu lui-même d’animal. C’est forcément une relation différente de celle qu’on peut avoir entre humains, puisqu’il n’y a pas vraiment de mots, de discussions ; c’est une relation avec une certaine forme de domination, puisqu’on incarne son maître, son “chef” de meute. Mais ça n’est pas une relation “dégradée” : quelque part, l’animal nous apprend à retrouver une forme de communication non verbale, plus intuitive, que l’on aurait un peu trop oublié à force de cotoyer d’autres humains.
L’animal nous rappelle parfois que les formes les plus simples, les plus sincères de sentiment peuvent aussi être les plus fortes. Il nous ramène à chaque instant à cette réalité souvent oubliée : l’intelligence la plus aigüe ne fait pas pour autant la qualité d’une vie. Et cette sincérité extrême vous est ainsi balancée à la figure avec le plus total des dévouements. Loin des calculs que l’on fait sans cesse, l’amour inconditionnel d’un chien envers son maître est complètement baroque dans notre vie d’humain, et complètement désarmant. Et touchant. Et infiniment précieux.
Pas simple de décrire un animal, finalement. Bien sûr qu’elle était affectueuse. Qu’elle avait parfois ses humeurs. Mais tout comme le relationnel qu’on a avec son animal se passe de mots, la description qu’on peut faire d’un chien de compagnie s’accomode peu de phrases toutes faites. Tout est dans le ressenti, dans la complicité, dans l’instinct, dans l’instant.
Et c’est l’ensemble de ces instants passés aux côtés de Bougne qui sont maintenant dans ma mémoire, et là pour y rester. Avec Pinky, Phoebe, Amy. J’ai adoré chacun des instants passés avec ces animaux. Et pourtant, je ne souhaite pas cette fois-ci reprendre de chien.
J’ai toujours “craqué”, à reprendre un animal lorsque j’avais perdu le précédent. Comment contourner cette cruelle règle qui fait qu’un chien ou un chat vivra forcément moins longtemps que soi, si ce n’est en transférant l’amour qu’on avait envers son animal vers un autre animal. Et à chaque fois, on le trouve exceptionnel, étonnant. Le miracle d’un relationnel aussi proche, aussi réussi, aussi improbable entre humains, et qui pourtant se reproduit ici à chaque fois.
Je ne veux pas de ça cette fois ci, non pas parce que je m’en sentirais incapable, au contraire, mais parce que je souhaite retrouver une vie plus mobile, moins liée aux contraintes d’un animal. Et aussi parce que je n’ai jamais vécu sans chien depuis mes 18 ans, et qu’il est temps de redécouvrir ce fonctionnement là.
Je n’ai pas beaucoup pleuré aujourd’hui. Je pense qu’il me faudra un peu de temps, pour réaliser. Pour réaliser l’absence surtout. Pleurer un animal est quelque part assez égoiste : on l’adopte pour qu’il nous tienne compagnie, on pleure l’absence de sa compagnie. On se dit qu’il “a bien vécu”, qu’on a fait ce qu’il fallait pour qu’il ne souffre pas trop. Nos pensées restent finalement très nombrilistes, et c’est sur notre sort que l’on souffre.
J’essaie néanmoins de penser à ma bougnette ce soir. A cet être doux et dévoué, à la sincérité désarmante et à l’amour infini. Merci à toi de m’avoir offert tout cela.