Au hasard des liens d’un site à l’autre, j’ai découvert deux compositeurs de musique de films, que je connaissais de nom bien sûr, mais dont j’ignorais tout ou presque de leur carrière : Michel Magne et François de Roubaix. Et j’avais grandement tort ! Deux belles découvertes…
Tout est parti pour moi d’un article dans Télérama sur le Château d’Hérouville : ce château mythique avait été témoin, au début des années 70, d’un incroyable défilé de stars qui venaient enregistrer dans ce lieu inédit pour l’époque : des studios d’enregistrement, mais aussi un lieu d’hébergement ouvert et convivial. L’histoire ne se termine malheureusement pas très bien, puisque ce lieu est rapidement tombé dans les pires travers d’une gestion hasardeuse, et, d’épisodes en épisodes, est aujourd’hui abandonné et en vente.
A l’origine de ce projet, un compositeur : Michel Magne, qui avait fait fortune dans les années 60 en créant quelques-unes des meilleures bandes originales de films. Un type au parcours étonnant, aujourd’hui complètement oublié, et qui pourtant a composé la bande son d’une bonne partie de mes souvenirs d’enfance.
Un exemple parmi les plus marquants : la bande son de la série des « Fantomas ». Aujourd’hui, ces films apparaissent désuets et à la limite du nanard, mais j’avais complètement oublié que la musique qui les accompagnait était assez majestueuse, par exemple ce thème « Ma chère Hélène » qui n’aurait pas démérité dans un James Bond :
Magne est également à l’origine d’un de mes films préférés, « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », en parfait binôme musicien du génial Jean Yanne :
Dans les dizaines voire centaines de « classiques » mis en forme par Michel Magne, « Les tontons flingueurs », « Un singe en hiver »… Un vrai résumé des années 60 du cinéma français. Mais ce compositeur est tout sauf un « classique » : du témoignage de tous ses proches, c’était un vrai « déjanté », très original et entier dans sa démarche, comme en témoigne ce documentaire exhumé par l’INA.
De formation classique, mais passionné par la musique d’avant-garde, Michel Magne a créé son rêve : un lieu où tous types de musiciens pouvaient se croiser et créer. Les studios du Château d’Hérouville ont ainsi accueilli tout ce que les années 70 ont porté de meilleur : Pink Floyd, Elton John, David Bowie, Grateful Dead… Malheureusement, la fin de cette décennie fut une longue descente aux enfers, et Michel Magne finit par se suicider, en 1984, croulant sous les procès et les dettes.
Quand on fouille un peu dans les archives sur la carrière de Michel Magne, on tombe facilement sur une autre piste, celle d’un autre musicien qu’on peut facilement considérer comme le « petit frère » professionnel de Magne : François de Roubaix.
Ce jeune musicien, mélange de hippie, de professeur Tournesol et de compositeur de génie, a eu une carrière fulgurante : entre ses premières bandes sons, et sa mort accidentelle en plongée sous-marine, il ne s’est pas passé 10 ans. Mais ce fût suffisant pour créer, expérimenter, et laisser les traces d’un travail extraordinairement original. En jonglant avec les synthétiseurs débutants, en les mélangeant avec les sons les plus improbables d’instruments disparus ou créés pour l’occasion avec deux élastiques, et surtout avec un talent de mélodiste-né, de Roubaix a composé des bandes sons étonnantes, qui surprennent, déroutent, et au final… restent en tête. Par exemple, ce thème de la musique « la Scoumoune », qu’on devait chantonner en sortant des salles obscures projetant ce film :
François de Roubaix, près de 40 ans après sa mort, continue à avoir des fans inconditionnels, qui s’étonnent encore aujourd’hui de la fraicheur de ses compositions, et s’en inspirent. On n’ose imaginer ce qu’aurait pu être la carrière de ce touche à tout s’il avait pu grandir avec les nouvelles technologies, avec l’évolution des synthés, des outils de travail… De nombreux acteurs de la scène électro (dont le groupe français Air) donnent son nom comme une de leurs sources d’inspirations majeures. Sans parler de morceaux qui ont été honteusement plagiés par certaines stars, comme ce « Dernier domicile connu » qu’on retrouve à la note près dans le morceau « Supreme » de Robbie Williams :
Le travail de François de Roubaix est étonnant au sens où il vient d’un autodidacte complet, qui se moquait des règles d’écriture, des courants de mode, et qui était parvenu à créer quelque chose qui n’appartenait qu’à lui, et en même temps à l’imposer à quelques réalisateurs qui osaient donner cette touche décalée à leurs films. Cela donne des morceaux toujours surprenants, à la limite de l’expérimental, mais qui restent encore aujourd’hui très écoutables, grâce à des mélodies accrocheuses parfaites.
En épilogue, une oeuvre de François de Roubaix d’autant plus étonnante qu’elle est complètement inédite : elle a en effet été refusée par l’équipe du commandant Cousteau, pour illustrer un des films maritimes qu’il sortait à l’époque. Un vrai diamant caché et presque perdu, une sorte de J-Michel Jarre en bien plus inspiré et original, et 3 ans avant « Oxygène » !
PS : à écouter, une passionnante émission de radio, une heure sur France Culture consacrée à François de Roubaix.