Carapace

Dans la vie, je n’ai jamais su me constituer de carapace. C’est peut être un tort, mais je n’ai jamais su apparaître autrement « qu’à vif ».

C’est pourtant une façon classique de se protéger, un peu un réflexe de survie : dans les situations difficiles, quand on a été blessé, c’est complètement logique qu’on aie l’envie de se forger une armure, une carapace, au moins pour se laisser le temps de souffler, de reprendre pied. Je devrais peut-être apprendre à fonctionner comme ça, je comprend tout à fait l’intérêt de la chose, mais… je n’y arrive tout simplement pas. Même si c’est douloureux, j’ai toujours le besoin de « sentir » mes sentiments, de vivre le truc complètement, quitte à avoir mal, plutôt que de passer à côté d’une vraie discussion, d’avoir le regret d’être passé à côté de quelque chose.

C’est quelque chose de perturbant de constater de quelqu’un qui a été très proche s’est forgé une carapace contre soi-même. C’est frustrant de voir que la communication devient impossible. Et en même temps, ça laisse une impression très bizarre, car bien sûr qu’on n’est pas dupe, lorsqu’on connait parfaitement la personne en face : au travers de la façade, on sait ce qu’il y a derrière, et c’est d’autant plus attristant de ne pas pouvoir vraiment communiquer.

J’essaie de respecter ces démarches, car bien sûr que je comprend leur intérêt. Mais parfois, d’avoir l’impression d’être dans un travaux pratiques d’un bouquin de conseil sur les ruptures amoureuses est… frustrant, je n’ai pas d’autre mot. Au travers des quelques phrases échangées, on ne perçoit plus que les conseils distillés : « Même si on peut en avoir envie, surtout ne laisser aucune ouverture possible ». « Pas de parole ambigue ». « Garder ses distances, ne pas laisser parler ni ses sentiments ni sa colère ». « Se protéger et penser à soi avant tout », etc…

Je ne suis pas en train de me faire un film à me dire que derrière ça il y a plein d’amour qui ne demande qu’à être récolté. Il peut bien sûr aussi y avoir de la colère, de la rancoeur, de la peur. Ou sans doute un mélange de tout ça. Mais, comme disait l’autre, « tout mais pas l’indifférence »…

Ce cher Roger Waters avait parfaitement illustré ça avec son « Wall ». On naît nu, puis, au fil des épreuves de la vie, on se construit, brique après brique, son propre mur, pour pouvoir se protéger derrière, se recroqueviller derrière une protection qui ne laisse plus passer aucun sentiment, aucune lumière. Cet isolement, cette démarche était illustrée de manière frappante en concert, lorsqu’on se retrouvait face à un mur géant, ne laissant plus rien paraitre de ce qu’il y avait derrière.

Dans l’histoire narrée par Waters, il y a une sorte de « happy end » : devant une telle logique, le mur finit par tomber, laissant le héros fragile, à nu, mais enfin lui-même. Alors même si, encore une fois, je comprends et respecte complètement ces démarches qui sont sans doute parfois indispensables pour parvenir à simplement survivre et passer des étapes particulièrement difficiles, je souhaite à tous ceux qui se sont construit leur mur, leur carapace, d’arriver à un moment à passer ça. J’ai connu tant de gens qui s’étaient tellement enfermés derrière leur armure qu’ils ne parvenaient plus à en sortir…

Je ne sais pas ce qu’il peut y avoir et qui on peut croiser sur son chemin une fois qu’on a abattu son propre mur. Mais je sais qu’on mérite tous, à un moment, de laisser la vie faire les choses…

Tout seul, ou en groupe,
Ceux qui t’aiment vraiment
T’attendent derrière le mur…

All alone, or in twos,
The ones who really love you
Walk up and down, outside the wall
All hands in hands
Some gathered together in bands
The bleeding hearts and artists
Make their stand.

And when they’ve given you their all
Some stagger and fall, after all it’s not easy
Banging your heart against some mad bugger’s wall.

– Outside The Wall, Roger Waters

 

One Comment

  1. Répondre
    Ephémère 20 août 2012

    Pareil… dans les grandes lignes. Je ne voudrais (et même si je le voulais, je ne saurais comment faire) pour rien au monde ériger un mur autour de moi. Ce serait chercher à être autre chose que… moi. Je préfère vivre les choses « à vif » dussé-je en souffrir terriblement, ou ne pas en dormir des nuits durant. Ce serait comme ajouter à mon désespoir la solitude, enfermée entre quatre murs. J’ai tendance à penser qu’au contraire il faut essayer de tendre vers les autres… c’est une façon d’arriver à s’oublier soi-même, ne serait-ce qu’un peu.
    Sujet délicat…. et pas simple. J’espère n’avoir blessé personne.

    PS: étais-tu à Bercy le 30 mai 2011 ? :p

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