Excellent documentaire sur France 3 Auvergne (je ne me souviens même plus la dernière fois où j’ai pu regarder un documentaire sur France3 Auvergne !) sur le parcours d’un monument de la politique auvergnate : Valéry Giscard d’Estaing.
Bon, autant le dire de suite, Giscard, c’est pas forcément ma tasse de thé. Même si j’ai longtemps habité Chamalières, la ville la plus symbolique d’un giscardisme de toujours. Je me souviens l’avoir vu en 1981 lors d’une kermesse politique pré-présidentielle juste à côté de chez moi, quand j’avais 7 ans (mais j’avais été plus impressionné par les tireurs d’élite positionné sur le toit de mon Suma, ainsi que par la prestation de Gérard Lenorman, qui avait chanté en première partie « Si j’étais président »).
Drôle de bonhomme, ce Giscard, quand même. On l’a toujours présenté comme étant « le plus doué », le plus intelligent, le plus brillant. Et effectivement, son accession à la fonction suprême en 1974 s’est déroulée extrêmement naturellement, et rapidement. Mitterrand et Chirac s’étaient présentés 3 fois chacun, Giscard, lui, y est arrivé très directement, même s’il a été aidé par les circonstances. Comme le dit justement le documentaire, il a été respecté, estimé. Mais jamais il n’a été aimé.
Giscard, c’est le souvenir d’années 70 relativement ambiguës politiquement, à la fois les dernières années un peu « paisibles », tout en étant les premières années de crise, et aussi d’évolutions sociétales assez marquantes après mai 68 : IVG, majorité à 18 ans… Mais c’est aussi le souvenir d’une image très monarcale, d’un personnage bien peu en phase avec le modèle républicain qui l’a amené au plus haut, mais qui lui a également infligé ses plus grosses désillusions, et ce à plusieurs reprises : échec de sa réelection en 1981, échec aux municipales de 1995, échec de sa réelection au Conseil Régional en 2004.
Le documentaire, et surtout l’interview qui suivait, montre un Giscard qui n’a plus rien à perdre, et qui du coup pose sa langue de bois au vestiaire, laissant à nu, et c’est bien tout l’intérêt de l’intervention, l’image d’un politique dans tous ses paradoxes : grand et très artificiel, sûr de lui et très fragile, complètement égocentrique et pourtant se sentant investi de la mission de changer la vie de ses congénères.
Il a dû y avoir de drôles d’ascenseurs émotionnels dans la tête de ce bonhomme très froid d’apparence mais pourtant très humain dans certaines de ses réactions : l’accès à ce job de dingue qu’est celui de diriger un pays, la redescente brutale. Le récit de sa période 82-84, où il tente de reconquérir un terrain politique en partant du plus bas (faire du porte à porte dans un des cantons les plus ruraux du coin) est assez surprenant. Le pouvoir plus fort que tout et drogue dont on ne peut se sevrer ? Une énergie hors du commun pour avancer quoi qu’il arrive ? Une foi en soit dépassant tous les obstacles ? Sans doute un peu de tout cela.
Je ne pensais pas en tout cas, en sortant de ce doc, avoir autant l’impression de sentir du doigt ce que peut amener la fonction politique. J’ai eu l’occasion d’en cotoyer un certain nombre ces derniers temps, et j’avais été perturbé par ce mélange de « vision » et d’absence de connaissance de la réalité du fameux « terrain » qu’ils prétendent cotoyer. Cette foi pour s’engager, se battre sur des terrains qu’ils ne connaissent pourtant que souvent superficiellement.
Le spectacle « Au banquet de Marianne » que j’ai eu l’occasion de découvrir récemment m’avait déjà beaucoup fait réfléchir sur la « chose politique », et cette espèce de mélange très étrange : l’homme politique est sans doute le plus ambitieux, le plus égocentrique de tous les métiers. Et pourtant, il y a, souvent, ce truc qui les dépasse complètement, cette vague de fond qu’est la république, qui les propulse au plus haut, les enfonce au plus bas, les transcende et les dépasse, et qui fait sa trace dans l’histoire bien au delà des hommes qui se succèdent. Ce paradoxe permanent produit cette population de cravateux, représentants d’un peuple qui à la fois les craint, les respecte, et les hait. Soit tout sauf une réelle « représentation ».
Je ne sais pas si l’on a beaucoup de visionnaires aujourd’hui. Une présidence « normale », un président qui va en cachette chez sa maitresse, tout ça désacralise la fonction, mais quelque part inquiète, donne l’impression du manque de hauteur de tout cela. Un peu comme si, sans oser se l’avouer, le peuple rêvait d’avoir à nouveau une sorte de monarque. Ce que représentait parfaitement Giscard. Tout en ayant possibilité de l’éjecter si besoin. Ce qui a été fait à ce drôle de monarque qui vit aujourd’hui avec sa rancoeur et ses désillusions, planqué dans un château quelque part dans l’Aveyron.
J’ai peu de souvenir du président de Région Giscard, qui a pourtant régné 18 ans sur ma région. Je me souviens de l’euphorie qui avait succédé son départ après son échec en 2004. Une sensation de « wouah, on a osé débouter notre roi ! ». Giscard a, j’ai l’impression, et c’est l’impression que laisse le documentaire, surtout laissé des symboles, des grands chantiers, une démarche très « présidentielle », donc : les autoroutes, le Zénith, Vulcania bien sûr, et quelques lycées à l’architecture évoluée. Un Président pas très proche de son peuple, mais qui avait une idée très précise de ce dont son peuple avait besoin, ce qui lui a été amèrement reproché avec un Vulcania très ambitieux mais bien peu en phase avec les envies du public.
Beaucoup d’auvergnats gardent un souvenir, sans doute un peu idéalisé, d’une période paisible et sereine lorsque Giscard les dirigeait. Et pourtant, très peu en parlent, ou même acceptent d’en parler lorsqu’on évoque le sujet. Et ce documentaire arrive d’autant plus à propos, 10 ans après le départ, en silence, d’un VGE définitivement dégoûté par, il le dit, le « manque de reconnaissance » de ses congénères. Il quitta la région, mit son château en vente, et ne fit d’apparition qu’à Paris (où a été tournée l’interview), à Bruxelles, mais jamais dans cette région qui reste pourtant intimement liée à sa carrière dans l’esprit de chacun.
La dernière question de l’interview, plutôt consensuelle pour le reste, est assez vicieuse : « Quel est, selon vous, l’homme politique auvergnat qui laissera le plus une trace dans l’histoire ». Cruelle question lorsqu’elle est posée à celui qui, toute sa vie, a rêvé de se forger cette place. La réponse fut une pirouette (Blaise Pascal, qui n’est pas vraiment un politique). Mais même si cette longue période garde aujourd’hui un côté caricatural et pas forcément très valorisant, il faudra aux auvergnats encore un long moment pour trouver une juste place à VGE, drôle d’auvergnat qui commença sa vie hors de la région, qui la finira également soignement à l’écart, et qui pourtant a longtemps rêvé de ce que devait être l’auvergnat à son sens.