L’expérience de Milgram

Grosse émission hier sur France2, « Le jeu de la mort » : sur un format « à la Dossiers de l’écran » (film + débat, il ne manquait que la musique flippante du générique), une version revisitée de l’expérience de Milgram : la preuve qu’on peut faire faire à peu près n’importe quoi à n’importe qui, y compris le transformer en tueur, sous couvert d’autorité.

Je connais assez bien cette expérience, m’étant pas mal documenté dessus après l’avoir découverte dans un de mes films préférés, « I comme Icare« , d’Henri Verneuil. J’ai donc regardé avec curiosité cette émission, qui était un « remake » de l’expérience sous couvert d’un jeu télévisé.

L’expérience a donné les mêmes résultats, voire des pires : 85% des candidats amenaient la personne en face jusqu’à la mort, chiffre bien entendu terrifiant. Mais ce qui m’a heurté est le débat qui a suivi : au lieu de faire, comme Milgram l’a fait, une projection sur les comportements humains (face à une religion, une autorité politique, dans la vie de tous les jours..), tout ou presque s’est recentré sur le rôle de la télévision (avec des intervenants brillants, à l’instar de Jean-Marc Morandini).

J’ai trouvé ça carrément réducteur : je l’ai vécu comme un « mais c’est pas vraiment ‘nous’, c’est la faute à la télé ». L’émission voulait prouver quoi ? Qu’un plateau télé était intimidant pour le commun des mortels ? Autant la preuve était terrifiante et violente, autant le discours autour m’a donné la sale impression de se cacher derrière son petit doigt.

Non, ce comportement humain n’est pas lié à la télévision. Et débattre si La ferme célébrités ou Secret Story est une émission dangereuse n’avait ici aucun intérêt, ou, du moins, réduisait la portée du message. Ce que Milgram avait prouvé dans les années 60, c’est que, sans aucune motivation (même pas pécuniaire, contrairement à ce qu’on a vu hier), ni aucune pression hormis les directives neutres d’un inconnu habillé en blouse blanche, l’humain était capable de n’importe quoi.

Constat en tout cas terrifiant, mais qui permet de comprendre bien des hérésies… Une des rares intervenantes intéressantes d’hier rappelait qu’en parallèle de l’expérience de Milgram se tenaient les derniers procès contre les nazis responsables des exterminations de la seconde guerre mondiale. Beaucoup utilisaient l’argumentaire : « Je ne suis pas responsable, je n’ai fait qu’obéir aux ordres ». Là où beaucoup y voyaient une stratégie de défense, peut-être faut il y voir une réalité… qui est finalement encore plus grave, et tout à fait terrifiante !

6 Comments

  1. Répondre
    Matt 18 mars 2010

    J’ai regardé moi aussi avec beaucoup d’intérêt cette émission hier soir… Francis et toi m’aviez fait découvert Milgram y’a quelque temps et ça m’avait passionné. France 2 hier, avaient d’énormes possibilité de débat et, comme tu l’as dis, se sont réduits au message "secret story c’est mal". Mais il y a un chiffre dans le film qui m’a fait extrêmement peur et sur lequel personne n’a tilté: 82% des gens qui subissaient la pression de la présentatrice sont allés jusqu’au meurtre, mais sans elle 75% ont arrêté en cours… ce qui signifie quand même que 25% des gens, sans aucune pression du tout, sont prêts à tuer de sang froid un inconnu qui pleure et qui hurle pendant que la France entière les regarde… Ca, c’est le vrai chiffre qui fait peur.

  2. Répondre
    sandrine 18 mars 2010

    Tout à fait exact, et si si, il y a bien des gens qui ont tilté dessus, car comme toi, j’en suis restée perplexe… C’est sans doute ce qui différencie l’obéissant face à l’autorité et le véritable criminel… je plains vraiment l’entourage de ces 25% là…

  3. Répondre
    antho 18 mars 2010

    Juste pour intervenir, je trouve la parallèle nazi super intéressant. D’ailleurs si l’on reprend le discours de Milgram, il s’est directement inspiré de cela pour mettre au point cette expérience. En y ajoutant l’intervention de Matt on comprend mieux le rôle primordial et affreux qu’un chef des opérations comme Hitler a eu dans ce fleau. En étant un peu naif et mathématique, sans Hitler 75% de morts en moins. Ca fait réfléchir sur la nature de l’être humain et le pouvoir de persuasion, management, carrisme de certains d’entre nous

  4. Répondre
    Matt 18 mars 2010

    @Antho> Le rapprochement Nazi fait partie intégrante de l’expérience de Milgram, mais dès le début du débat de France 2 ils ont dit "mettons les nazi de côté"… dommage
    @sandrine> c’est bien pour ça qu’ils n’ont pas montré les 25% qui ont fini l’expérience seuls 😉

  5. Répondre
    sandrine 18 mars 2010

    Oui, Matt, j’ai remarqué aussi.. Cela dit, je trouve qu’on pouvait déjà percevoir qui faisait partie de ces 25 % en regardant la réaction de certains à l’annonce de ce qu’étaient les châtiments.. Yen a quand même un que ça faisait mourir de rire…. Faut être grave….

  6. Répondre

    Bonjour JD,
    Cette expérience comme de nombreuses autres ont fait progresser la connaissance de la nature humaine…
    Et l’arsenal des armes mises à disposition des manipulateurs malsains, plus ou moins conscients.
    Au moins nous savons pourquoi les éléments qu’apporte Jean-Paul MORAIS sont intéressants pour mieux gérer les ressources humaines et manager dans les entreprises et pourquoi j’ai choisi de porter ce projet.
    Mieux vaut disposer d’outils pour évaluer et — nous l’espérons — faire évoluer… les collaborateurs et managers d’aujourd’hui et de demain.
    A+
    Marc

    PS : Quel que soit l’angle que l’on prend, cette expérience est ‘perverse’. L’homme est le seul animal capable d’imaginer, et réaliser, une telle expérience…

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