Orange électrique

Bon, j’arrive après la guerre, vu que la polémique date d’il y a quelques jours, mais j’avais envie d’écrire un peu sur le sujet… Le groupe électro Français « Justice » a récemment défrayé la chronique avec leur nouveau clip, réalisé par Romain Gavras du collectif Kourtrajmé. Je préviens d’avance, c’est plutôt violent :

Alors, c’est quoi ? Une version 2000 du « Quand on arrive en ville » de Balavoine ? Un buzz gratuit (et ça marche bien, vu le nombre de gens qui en parlent… Vous connaissiez Justice avant, vous ?) ? Un message caché ? Une dénonciation de la violence ? Une dénonciation de la mise en scène que font les journalistes des phénomènes de banlieue ?

Les réactions ont été tout aussi violentes, sur le thème de la « violence gratuite », tant il vrai qu’il est difficile à première vue de dire si le film dénonce la violence qu’il montre, ou l’amplifie. Comme toujours, en regardant d’un peu plus près, ce n’est pas si simple, mais pas pour autant pour dédouaner complètement le groupe et son réalisateur.

Autant le dire tout de suite, Romain Gavras n’est ni un débutant, ni un imbécile, et encore moins un facho. Fils du réalisateur Costa-Gavras (il signe d’ailleurs maintenant « Romain-Gavras », joli clin d’oeil), ça fait un moment que je suis son travail au travers des courts métrages qu’il a pu sortir avec son complice Kim Chapiron, et c’est souvent un travail excellent, proche d’une certaine « réalité des banlieues », du moins autant que je puisse en dire depuis ma campagne auvergnate ! Mais surtout, c’est un réalisateur malin et intelligent, et cela se ressent vraiment, même au travers de ce clip hyper-violent.

Regardons maintenant le clip d’un peu plus près. Le premier truc qu’on peut reprocher est l’absence totale d’explication. C’est vraiment un clip façon « reportage réel », avec la caméra qui tremble, et plein d’indices qui sont là pour montrer que l’on nous montre là un reportage : on voit a plusieurs reprises le perchman, le caméraman finit assomé à son tour à la fin du clip, etc… Les reporters se retrouvent ainsi mi-témoins, mi-complices des méfaits filmés, en courant avec les autres pour échapper aux flics, en ne défendant pas les personnes agressées…

Dans les critiques les plus fréquentes, celle disant qu’on se demande parfois si le clip n’est pas une pub pour les blousons (qui sont parait il disponibles à la vente, et hors de prix : 700 euros !), vu qu’ils sont omniprésents dans les scènes. L’image de ces blousons est pourtant pas accessoire : mi-flippante, mi-hypnotique, on imagine très facilement la frayeur qu’on pourrait avoir en voyant débarquer une bande comme ça, avec ces espèces de croix ressemblant à des cercueils.

Autre détail perturbant : à deux reprises (lorsque le flic détériore la caméra, lorsque les djeunz lancent la musique dans la BX), on se rend compte que la musique du clip s’interrompt. Ca m’a personnellement vraiment fait tiquer. On n’a pas affaire à un clip qui illustre la musique, mais à une musique qui sert de bande son « en réel » aux faits et gestes de la bande. Mine de rien, c’est un retournement de situation, une instrumentalisation de la musique plutôt….déroutante.

La façon de filmer est plutôt bizarre : on alterne des plans très « tv-réalité », typique d’un reportage fait à l’arrache, et d’autres beaucoup plus esthétiques, des travellings, de vraies mises en scène du décor de la banlieue ou du métro. Encore une fois, j’ai du mal à croire que Romain Gavras aie fait les choses au hasard, et je vois tout ça plus comme des moyens de brouiller les pistes qu’autre chose.

Autre brouillage de piste, ou démasquage de l’auteur : le fait que le clip reprenne pas mal du style, et des idées, d’un autre clip, datant d’une dizaine d’années : Bon alors, provoc, dénonciation ? Justice a été obligé de publier un communiqué de presse, où ils incitaient simplement à ce que chacun se fasse son interprétation. C’est vrai que, dans la société d’aujourd’hui, un film sortant des chemins balisés habituels où tout est très « manichéen », où l’on ne nous montre pas qui sont les gentils, les méchants… Ceci dit, les interrogations n’en sont que plus fortes après… On a parfois comparé le clip au film « Orange mécanique », avec toutefois un énorme bémol à apporter : le film de Kubrick était un film d’anticipation, alors que ce clip est censé montrer une certaine réalité bien réelle… et qui est peu contestée.

J’ai vraiment une impression troublante et bizarre : plus on visionne et l’on étudie le clip, plus l’on se rend compte qu’il est tout sauf une « grosse merde bâclée », comme on a pu le lire fréquemment, mais là où, plus ou moins consciemment, on attendrait une certaine « légitimation », un message qui montrerait que la violence montrée n’est pas une pub primaire de l’auteur, on ne fait que recenser des pistes brouillées, et d’autres interrogations… Dangereux ? J’espère que l’intérêt du film est au moins d’inciter à « lire » les images d’une manière un minimum réfléchie, et j’ai modestement écrit cet article en ce sens 😉

Je garderai juste la conclusion qui est celle du clip : « Ca te fait kiffer de filmer ça, fils de pute ?? »

Edit : quelques remarques supplémentaires et intéressantes :

  • Bertrand m’a fait remarquer à juste titre que certaines scènes étaient ouvertement des clichés à Orange Mécanique, comme quoi le rapprochement n’est pas si idiot que ça…
  • Tous les objets volés par les djeunz le sont toujours dans un but de destruction, et pas de possession : l’appareil photo est immédiatement détruit, la BX brûlée….
  • Les flics apparaissent d’une manière très « jeu vidéo », au détour de l’ouverture d’une porte d’ascenseur…. Un cliché de plus à cette culture
  • 4 Comments

    1. Répondre
      Yoan 23 mai 2008

      Je viens de regarde le clip, j’en avais pas entendu parlé tu vois 🙂
      Justice je connnais de nom mais sans plus.

      En effet ces scènes sont vraiment super réalistes et ce clip est vraiment très troublant.

    2. Répondre
      Cécile 23 mai 2008

      Enfin un article! et en plus il est super!
      je connaissais le clip et la polémique qu’il y a autour mais encore une fois je trouve ton « explication de texte » bien utile et surtout très pertinente…(non personne ne m’a payé pour tous ces compliments 😉 ) Bref chui bien contente que tu sois reviendu J Vivement le prochain ! 😀

    3. Répondre
      Bertrand 23 mai 2008

      ce qui est marrant sur la reprise de certains points de l’autre clip, c’est que l’image du bas, est elle même une sorte de référence à Orange Mécanique. Mais tu peux en voir d’autres dans ce clip.

    4. Répondre
      Dodot 26 mai 2008

      Je connaissais Justice, bien évidemment, d’ailleurs la musique dans la BX est leur tube le plus connu.

      Mais je ne connaissais pas cette face obscure de leur musique, qui fait plus "rave party" que boite de nuit !

      Pour ce qui est du clip, c’est du buzz facile, je pense qu’il ne faut pas nourrir le troll…

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